Le millésime 2024
Le millésime 2024.
J'ai par habitude, à chaque fin d'année, de venir vous parler du dernier millésime. Si vous avez encore quelques bribes de latin dans vos souvenirs de collégien(ne), et si vous avez lu mon petit texte sur le millésime 2023 l'an passé, je vous dirais simplement ces deux mots : bis repetita. En effet, je pourrais faire un copié collé de mon précédent compte rendu tant les années ici se suivent et se ressemblent.
Je vous rassure tout de suite les raisins que je viens de rentrer étaient jolis. Et pour cause, deux cents millimètres d'eau en un an ont empêché les champignons parasites de la vigne, mildiou, botrytis ou oïdium, de s'encanailler. Comme l'an passé, la qualité de ce millésime sera indéniablement bonne. Imaginez, de petites baies saines, un rendement moyen misérable de 10 hl par hectare ; cela donne forcément de belles choses. Certes, il faut récolter et vinifier ce type de vendanges avec doigté. Notamment pour préserver les équilibres en bouche. Je craignais une perte d'acidité mais manifestement elle reste présente, notamment sur mes blancs. A l'image de 2023, l'astringence des vins rouges est plus douce en bouche. Un blocage de la synthèse des polyphénols par le stress hydrique pourrait être à l'origine de cette moindre présence tannique. Certaines de mes cuves ont des allures de Pinot noir. Surprenant et étrange pour notre terroir habituellement généreux en tanins. Mais cette perception gustative de ces vins est curieusement agréable.
Comme les deux années précédentes, 2024 restera dans nos mémoires en raison de cette sécheresse qui accable notre petit bout de France. Aux confins des Pyrénées Orientales et de l'Aude, le secteur des Corbières maritimes est le plus affecté. Mi-octobre la radio annonçait 250 mm annuels de précipitations sur Rivesaltes depuis trois ans. L'équivalent de la ville d'Amman en Jordanie précisait le commentateur. A Vingrau, les buis en haut des falaises ont rendu l'âme depuis plus d'un an. Aujourd'hui c'est au tour des frênes de crier la soif le long du ruisseau (photo). Pour l'instant les pins, chênes verts, oliviers et autres figuiers survivent, mais pour combien de temps ? Et la vigne dans tout ça ? Elle résiste même si certains pieds sont morts ou sacrifient l'un de leurs bras.
Pourtant il suffit de faire dix kilomètres vers l'ouest et les hautes Corbières pour retrouver des précipitations un peu plus abondantes. Notre rivière, le Verdouble dont je vous ai déjà parlé, prend sa source du côté du Pic de Bugarach. Il coule normalement mais il se perd dans ses galets en aval de Tautavel. En revanche, les géologues nous affirment que de vrais petits fleuves circulent sous nos pieds, dans l'épaisseur du massif karstique. Peut-être un jour trouverons-nous un moyen de les capter par des forages ciblés que le génie humain ne sait pas encore positionner ?
J'ai essayé de comprendre ce qui nous arrive ? Le vent du Sud-Est, ce Marin chargé d'humidité méditerranéenne, ne rencontre plus à notre niveau les courants frais venus du Nord qui déclenchent les précipitations. Par le passé les Corbières ont connu de lourdes pluies dès la fin septembre. La dernière à Vingrau date de 1999. Ces pluvieux et dévastateurs épisodes cévenols dont on nous parle souvent, concernent aujourd'hui les départements méditerranéens plus au nord, des Cévennes aux Alpes-Maritimes. Certainement une conséquence de l'évolution climatique. Ces confrontations de masses d'air semblent s'être déplacées vers des latitudes plus septentrionales. Il y a quatre ans nous avions encore des pluviométries normales, ce bouleversement est aussi soudain qu'inattendu. Que nous réserve l'avenir ? Nul ne saurait le prédire avec précision.
Le texte que vous avez ci-dessus a été rédigé le 27 Octobre. Le lendemain lundi 28, avec Stéphane, Jérémie et leur équipe, nous mettions en bouteilles trois cuvées 2021 : L'Air du Temps, Le Mascarou et La Carissa ainsi que le Tuilé 2014. Le ciel était menaçant et j'espérais que la pluie tant attendue nous laisse finir cette mise. Ce fut le cas et, à 15h, alors que je poussais la dernière palette à l'intérieur du chai, la pluie s'est mise à tomber. Fine et douce au départ, elle s'est renforcée très rapidement pour devenir copieuse et violente à la tombée de la nuit. Le lendemain de très bonne heure, l'âme légère, je suis allé relever la hauteur d'eau dans mon pluviomètre artisanal : 90 mm. Merci le ciel, trois ans que nous attendions ça. A ce moment-là j'ignorais encore le terrible drame qui était en train de se jouer quelques centaines de km plus au sud dans la région de Valence. Cette pluie bienfaitrice en Roussillon s'était muée là-bas en un cataclysme apocalyptique : 500mm d'eau en quelques heures et des victimes par centaines. Pauvre Pais Valencià dont je me sens si proche.
Ces conflits de masses d'air que j'évoquais dans le paragraphe précédent et que je croyais désormais dévolues à des contrées plus au nord se sont produites là où on ne les attendait pas. Le caractère aléatoire de ces stagnations orageuses a de quoi nous inquiéter.
Que faire ? Nous savons que ce sont bien les activités humaines qui, en un siècle, ont modifié la donne. Combien faudra-t-il de Valence pour que les dirigeants et autres puissants de ce monde s'accordent et s'orientent vers des choix politiques environnementaux plus vertueux ?
Aujourd'hui, l'envie de lever mon verre n'est pas là.
Alain