Groiiing groiiing !!!

Groiiing groiiing !!! C'est ainsi que s'expriment les sangliers dans les bulles de René Gosciny lorsque ce diable d'Obélix les course dans les bois. Mais pourquoi donc évoquer les sangliers dans cette page ? C'est qu'aujourd'hui ces débonnaires ongulés, de plus en plus nombreux, sont devenus l'obsession de nos vignes cernées par la garrigue. Leur affectueuse présence ne serait pas un problème s'ils ne s'en prenaient pas à nos précieux raisins.

Nous venons de traverser deux ans de terrible sécheresse et dans nos paysages à la Manon des sources, l'eau est devenue rare et précieuse. Les sangliers n'ont d'autres ressources que de venir s'abreuver à nos grappes encore vertes. Ces misérables ne les mangent même pas, ils les mâchouillent et les laissent lamentablement pantelantes. Les dégâts peuvent être considérables et cette année nous avons perdu l'équivalent de cinq vignes. Elles étaient pourtant protégées par des clôtures électriques. Mais lorsqu'un petit marcassin passe par dessous en couinant pour aller téter mes raisins, la mère n'hésite pas et fonce à sa suite, arrache ma fragile clôture et toute la portée suit dans son sillage. Les bacchanales peuvent alors commencer.

J'ai replanté certaines vieilles parcelles sur de magnifiques terroirs d'altitude au cœur du massif de la Serre. A l'époque je pensais que mon seul problème dans ces vignes serait les cailloux. Je n'imaginais pas l'actuelle prolifération des sangliers. Mes collègues vignerons fatalistes me disent : « Là-haut ils sont chez eux depuis longtemps». Certes, mais pour en avoir parlé avec notre vieil ancêtre, l'homme de Tautavel (non, je n'en croise plus dans nos rues mais j'ai des dons de médium), ce dernier m'affirma que lui aussi était là depuis très longtemps. Nul doute que nos deux populations, sangliers et humains, se côtoient depuis quelques centaines de milliers d'années, au point d'être génétiquement extrêmement proches. Nous partageons avec nos cousins à quatre pattes le fait d'être omnivores. Nous nous intéressons à tout ce qui se mange. En cela je me sens peut-être plus proche des sangliers que des végans, l'odeur mise à part. Ces pertinentes remarques évacuées, nous sommes bel et bien confrontés à une même quête estivale : celle de mes attirants raisins.

Par le passé la présence des sangliers était discrète. A l'âge de 10 ans je suivais mon père dans ses parties de chasse au milieu des romarins et des cystes, portant gaillardement sa musette dans laquelle venait choir quelques perdrix ou plus rarement un lièvre. Mon père était chasseur comme tous ses amis du village. Il aimait pourtant la nature plus qu'on ne peut l'imaginer. Je l'ai déçu en ne devenant pas à mon tour chasseur, mais il m'a transmis sa connaissance et son amour pour cet univers qui nous entoure. Si je vous parle de cette époque, c'est qu'en ces temps pas si lointains, les nemrods du coin ne rapportaient de leurs battues qu'une vingtaine de sangliers par an. Aujourd'hui, c'est par centaines que se chiffrent les prélèvements dans chaque village. Pourtant ils sont toujours de plus en plus nombreux. J'ai toujours admiré cet animal solide et résistant, se situant dans nos contrées tout en haut de la chaîne alimentaire. Pour un sanglier, tout fait ventre : fruits, légumes, glands, racines, champignons, truffes, mais aussi petits lapins, oisillons, œufs, vers de terre, couleuvres et même les vipères qu'ils pourraient craindre. Son seul danger demeure l'homme, chasseur ou conducteur maladroit. La diminution du nombre de chasseurs ne serait pas la seule cause de sa prolifération. Autrefois une laie donnait naissance à quatre ou cinq marcassins par an, aujourd'hui ce sont des portées de sept à dix petits. Certains évoquent d'éventuels croisements avec des cochons sauvages et c'est vrai que nos sangliers actuels n'ont plus la même allure. Dans mon enfance j'étais un lecteur assidu de « Sylvain et Sylvette » ou des premiers « Astérix », ces albums BD dans lesquels les sangliers étaient dessinés tels qu'on les voyait, la tête haute avec un dos droit bien incliné vers l'arrière. Aujourd'hui leur silhouette est différente : des tubes portant moumoute. Si des croisements ont été réalisés, les apprentis sorciers sont à blâmer tant leurs errements sont aujourd'hui préjudiciables aux productions végétales.

En voyant le travail de terrassement que les sangliers sont capable d'accomplir en une nuit, je me dis que nous pourrions les utiliser l'hiver pour labourer nos vigne avec un bilan zéro carbone. L'ami Olivier Zébig a eu la même idée, il lâche dans les vignes des cochons nains de Nouvelle Zélande, de race Kunekune. Ils désherbent mieux qu'un troupeau de moutons car ils déterrent aussi les racines des adventices. Mais ce faisant ils croisent quelques lombrics imprudents, nos alliés souterrains qui aèrent nos sols et dont les porteurs de groins raffolent. Ne sachant pas ce que pensaient les lombrics d'une telle pratique, j'ai tendu le micro à l'un d'entre eux. Il n'était pas très chaud, ce qui pour un vers de terre est plutôt naturel. Toutefois, je le comprends et je me mets à sa place. Se faire boulotter en plein travail n'est pas une finalité très enviable.

De nos jours les sangliers n'hésitent plus à déambuler dans le village dans une sorte d'invasion pacifique. A la fin des dernières vendanges, j'ai eu comme compagnon de soirée, un mâle d'une corpulence respectable, environ 80 kg. Il venait se barbouiller dans la boue issue du lavage de mes comportes. Il n'avait pas l'âme belliqueuse mais Minette, ma petite chatte isabelle à laquelle j'apprends l'œnologie, ne voyait pas cette imposante présence d'un bon œil. Aujourd'hui la grosse bête s'en est allée, laissant la place à une cohorte de petits sangliers qui tous les soirs retournent inlassablement mon jardin avant de repartir, l'été venu, festoyer dans mes vignes. Il s'en passe des choses la nuit au Domaine des Chênes...

A la bonne vôtre.

Alain