2022, l'année des cigales
Cet été 2022 restera j'en suis sûr comme l'un des plus torrides, l'un des plus secs aussi, que nous ayons connus depuis 2003. Nous sommes en décembre et voilà maintenant huit mois que nous n'avons pas eu de véritable pluie (depuis avril). J'entends par là une averse qui mouille le sol sous les arbres. Même les amandiers et les buis dont la résistance à la sécheresse est légendaire, accusent le coup. Leurs feuilles sont marron, comme passées au lance-flamme.
Et la vigne dans tout ça ? A ma grande surprise, comme les oliviers et les figuiers, elle résiste. C'est impressionnant. Certes les baies sont plus petites, mais cette sacrée liane tient le coup. Certainement en lien avec les entrées marines qui cette année ont supplanté la Tramontane. La situation géographique du Roussillon, à proximité de la Méditerranée, est une vraie chance. Avant de nous atteindre, les vents du sud, vecteurs de canicule, circulent sur la mer et se chargent d'une humidité dont savent profiter les plantes à quelques dizaines de kilomètres de la grande bleue. Au-delà, l'air se dessèche et se réchauffe. Ainsi, cet été à Vingrau, les températures n'ont pas dépassé les 36° alors qu'en Bretagne et à Paris elles frisaient les 40. A la dégustation, nos cuvées 2022 ne souffrent pas d’un manque de fraîcheur comme on aurait pu s’y attendre. Merci à nos sols argilo-calcaires qui ont su maintenir suffisamment de réserve hydrique
Mais ce n'est pas cet inquiétant phénomène climatique qui a marqué mon esprit cet été. Ce qui restera dans ma mémoire, ce sont les nuées de cigales qui ont envahi le vignoble. Etait-ce en lien avec le doux printemps que nous avons connu ou avec l'absence de précipitations ? Je ne saurais le dire, mais jamais de mémoire de vigneron, nous n'avions vu autant de ces bruyants hémiptères dans nos vignes. Le matin, au volant de mon tracteur, je ne comptais plus les centaines de collisions avec ce sympathique insecte. Chocs sans gravité pour les deux protagonistes, la dure carapace de l'une tambourinant sans discontinuer sur la tôle de l'autre. Je vous ai parlé de cigales, je devrais dire cigalou, car leur taille était réduite. Comme si l'absence d'eau et donc le faible débit de sève végétale dont l'insecte est friand, impactait sur ses dimensions. Si j'évoque leur taille c'est qu'à plusieurs reprises l'une de ces affectueuses bébêtes est venus se loger sous les verres de mes lunettes de soleil. Drôle de sensation car, malgré mon amitié pour ce bel insecte, le contact sur mes paupières de ses six crochus petons distrayait la conduite de mon tracteur et me faisait dangereusement raser les pieds de mes chères vignes, mettant au tapis quelques précieuses grappes.
Cet épisode d'invasion pacifiste a pris fin comme chaque année courant août et, voyant sur le sol les nombreux cadavres de cigales se faire dévorer par des nuées de fourmis, je ne pus m'empêcher de penser à ce très cher Jean de La Fontaine. Aurait-il conclu sa célèbre fable de la même façon s'il avait été un tant soit peu observateur ? Certainement pas. Malheureusement la cigale n'attend jamais la bise pour passer de vie à trépas et, en satisfaisant cet écart chronologique, la morale du fabuleux Jean devient caduque. Il aurait pu situer la conversation entre les deux insectes en plein été, car à cette saison, sur les troncs d'arbres, fourmis et cigales se croisent. Sur la photo jointe, si vous avez bonne vue, vous verrez une cigale en pleine discussion avec une fourmi. Mais de quoi peuvent-elles bien causer ? J'ai été le témoin privilégié de leur conversation, en prose bien sûr. La fourmi citant Diogène: « Cigale ôte toi de mon soleil », la cigale : « Dégage microbe avant que je ne t 'écrase »... Mais après l'échange de quelques amabilités du genre, la situation s'envenima au point de faire dire à la fourmi ces terribles paroles : « Tu peux chanter, voler de tes belles ailes, mais avant l'automne, c'est moi ou bien quelqu'un des miens qui te boulottera ». Elle avait dû lire « Le loup et l'agneau » dans sa jeunesse mais n'avait pas le talent poétique de notre immense moraliste national. De fait, c'est bien comme cela, douloureusement, que l'histoire se termine. Aussi, et c'est de tradition dans la région après les obsèques d'un être cher, je lèverai mon verre au souvenir de la défunte cigale et de ses congénères qui ont monopolisé ce singulier été 2022.
A la bonne vôtre,
Alain