Le millésime 2019
Les conditions climatiques de 2019 ont été vraiment particulières, et j’attendais avec impatience la fin des fermentations et les premières dégustations pour venir vous parler de ce millésime atypique.
On nous prédisait une date de vendange plus tardive liée à la sécheresse et au retard de maturité qu’elle aurait pu engendrer, il n’en fut rien.
Pourtant, ne l’oublions pas, cet été 2019 fut marqué par un épisode caniculaire spectaculaire par sa précocité et par son intensité. Jamais nous n’avions atteint dans le Midi de telles températures.
Retour sur cette inattendue journée du 28 juin dernier : Ce vendredi-là le ciel, ou plutôt le soleil nous est tombé sur la tête. Des vents chauds et secs remontant d’Afrique ont parcouru le sud de la France. S’en suivirent des records de chaleur, en particulier entre Gard et Hérault. Ce matin-là je revenais de la Lozère où Pierrette Agulhon m’avait demandé d’animer un de ses jeudis vignerons lors d’un exceptionnel dîner dans son hôtel restaurant La Lozerette, tout près de Florac. Une adresse incontournable tant pour la qualité de sa table que pour la beauté et le calme des lieux. Pour mon retour j’avais choisi d’emprunter les pittoresques gorges du Tarn pour rejoindre la plaine du Languedoc et le Roussillon via Millau. Tout le long du trajet le thermomètre de ma voiture jouait au yoyo : 35°C dans les gorges du Tarn et sur le Larzac, 44 à Pézenas, 36 le long de l’étang de Leucate, et à nouveau 42°C dès mon arrivée en Roussillon.
Vingrau n’a pas été épargné par cette vague torride. Les météorologues avaient prévenu, craignant pour les personnes sensibles, et c’est vrai que nous avons été surpris. De mémoire de vingraunais, pareille sensation n’avait jamais été ressentie, et de mémoire de vigne vingraunaise non plus.
La vigne, parlons-en. Avec son système racinaire profond et sa physiologie, elle est parfaitement adaptée à la chaleur et à la sécheresse. On la retrouve en bordure des déserts les plus chauds et les plus arides, au Moyen Orient, en Afrique ou en Amérique latine. Face à la chaleur et à la sécheresse, elle a un comportement « pessimiste », iso hydrique comme disent les scientifiques. Dès que le début de la sécheresse arrive, elle sait se protéger en refermant les stomates de ses feuilles, ces pores qui lui permettent de respirer et donc de perdre son eau. Mais certaines variétés, plus septentrionales comme la Syrah, sont dites « optimistes », peu habituées à la sécheresse et à la chaleur, elles ne referment pas leurs stomates et continuent de pousser même si le sol devient sec. Mal leur en prend car il n’est pas rare, après deux mois de disette en eau, de les voir perdre leurs plus vieilles feuilles à la base des rameaux. Elles seront plus impactées que les cépages sudistes pessimistes par les longs épisodes de sécheresse. Une version végétale de la fable « La cigale et la fourmi » : insouciance et prévoyance.
Pourtant, ce vendredi de juin, ces considérations physiologiques ont été largement dépassées. Le phénomène a été brutal, rapide. Les vignes les plus fragiles, optimistes ou pessimistes, ont grillé. Certaines ne se remettront pas de cette grillure. Les raisins aussi ont attrapé le coup de soleil de leur vie, notamment les plus exposés à l’extérieur du feuillage, dans des zones peu ventilées. Ils ont bruni et certains ont même séché, c’est ce qu’on appelle l’échaudage.
Une question restait en suspens : qu’adviendra-il de la qualité du futur vin ? J’ai enfin commencé à déguster nos différentes cuvées et la surprise est au rendez-vous, surprise plutôt positive. Certes les vins sont solides et concentrés, la raison : les faibles rendements dus à la sécheresse. Mais, grâce à notre terroir argilo-calcaire et à sa bonne réserve hydrique, les équilibres sont respectés.
Et les arômes me direz-vous ?
Il y a un an, lors d’un colloque à Narbonne, j’avais fait une conférence intitulée : « Impact du réchauffement climatique sur les arômes du vin », sorte de science-fiction pour imaginer ce que pourrait devenir le profil des vins, à l’avenir, si les températures continuaient de grimper. Mais dans le cas de notre jour caniculaire de juin, il est difficile d’appliquer pour une seule journée, ce qui peut s’observer durant tout un été. Les modifications biochimiques dans la plante et le raisin suivent des processus plus longs, qui nécessitent en général plusieurs semaines. En revanche, si ces périodes de forte chaleur et de sécheresse se multipliaient et perduraient durant tout un été, nul doute que le vin pourrait être modifié aussi bien sur le plan olfactif que gustatif. Mais pas toujours de façon négative comme nous avons pu le démontrer avec quelques-uns de mes étudiants qui ont consacré leur thèse de doctorat à ce sujet.
Malgré la canicule de fin juin, 2019 à Vingrau devrait donner un beau millésime car la suite estivale a connu une climatologie classique. Et cela se confirme lors de nos premières dégustations. Les rouges sont marqués par des notes de fruits mûrs, d’épices et balsamiques. Les blancs aussi me surprennent, en particulier les Muscat et la Roussanne qui sont très expressifs dans leurs arômes primaires variétaux. Mais ils commencent à peine à s’exprimer et il faudra faire preuve de patience pour se faire une opinion définitive de ce millésime qui restera, quoi qu’il en soit, dans les mémoires.
- Alain Razungles
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