Dry January, Janvier sans alcool.

Stu..., stup..., stupido aurait dit Salvatore, le moine bégayant, polyglotte et bossu (surprenant Ron Perlman) dans le film Le nom de la rose (merci Umberto et Jean-Jacques, le second ayant magnifié l'œuvre du premier dans un bijou de pellicule). Il aurait eu raison Salvatore. Faut-il avoir l'esprit tourmenté pour prôner une telle pratique ? Je ne suis pas addictologue mais il me semble qu'un sevrage progressif et patient serait plus efficace que ce simulacre de bonnes intentions.

En y regardant de plus près, on se rend compte que cette pratique nous vient du Royaume Uni. De ces îles d'où proviennent aussi les hordes de hooligans imbibés jusqu'à la moelle d'une boisson qui n'est pas le vin, d'où nous vient également cette pratique qui consiste à s'alcooliser copieusement avec des alcools blancs avant de poursuivre sa soirée en boîte de nuit. Rien d'étonnant que la bienfaitrice Emilie Robinson (pas celle de Simon et Garfunkel) ait eu l'idée, dans l'une de ses campagnes anti alcool, de lancer le Dry january, elle est britannique. Ceci explique peut-être cela. Par cette provocation, elle a voulu très certainement alerter ses concitoyens sur un fléau qui ronge sa propre société, et en particulier sa jeunesse donc son avenir ? Mais de là à justifier cette pratique monastique et à l'exporter dans d'autres pays aux mœurs plus tempérées, ce serait un pas que j'aurais du mal à franchir. Un mois sans alcool, pourquoi pas un mois sans beurre, sans sel, sans sucre, sans femme, sans homme ? L'addiction se niche là où on l'attend le moins. Je dois préciser que dans les deux derniers cas cités, la première semaine de Février pourrait alors être décrétée semaine sans chauffage. Les retrouvailles s'avérant muy calientes, ce serait un bienfait pour le climat et les courbes de la natalité.

Il y aurait peut-être des façons plus douces de soigner cette addiction à l'alcool. Dans les années 80, j'enseignais la dégustation du vin à Montpellier. J'avais été contacté par un professeur de médecine de Caen qui avait eu l'idée de proposer une thérapie à de jeunes adultes sous addiction. Il voulait que je leur apprenne à redécouvrir l'alcool sous le prisme de la dégustation du vin. Apprécier une boisson, non pas pour sa ration d'alcool mais pour le plaisir des sens. L'expérience avait duré trois ans et semblait prometteuse. Mais si le monde médical s'accorde aujourd'hui sur les méfaits d'une consommation exagérée d'alcool, les médecins eux-mêmes ne sont pas hostiles à une consommation modérée de bon vin. 

Mais pour en revenir aux hooligans, quand j'étais gamin, l'oncle Jo m'emmenait voir les matchs de Rugby à XV ou à XIII dans les stades de Perpignan. A cette occasion nous partagions un petit paquet de cacahuètes grillées qu'il fallait éplucher. Cette madeleine de Proust est encore dans ma mémoire, mais elle donne soif.  Alors, à la mi-temps, nous descendions à la buvette : un demi pour tonton, une limonade pour moi. Mais ni lui ni moi ne sommes devenus addicts, ni à la petite graine ni aux désaltérants alcoolisés ou sucrés que nous consommions chichement. Les récipients de l'époque étaient des cannettes en verre, il fallait les laisser sur le comptoir avant de regagner notre place. Rien à voir avec ces décérébrés torses nus qui brandissent des contenants d'au moins un litre durant tout le match. Godets dont le plein est régulièrement fait par des serveurs portant sur leur dos la même machine que nous utilisions à l'époque pour traiter nos vignes. Comment applaudir une belle action de match avec un litron cartonné dans une des paluches ? Cette vision me ramène à l'initiative de Miss Robinson qui en deviendrait presque digeste. Mais elle amalgame dans son dry month toutes les boissons et tous les citoyens. A-t-on déjà vu un spectateur brandir une bouteille de rosé ou de blanc dans les tribunes d'un stade? A fortiori un stade de rugby, d'athlétisme, une salle de hand-ball, de basket ou encore de volley ? Je sais, à l'issue d'une finale âprement gagnée, il y a bien les champions qui secouent un mathusalem de champagne, aspergeant plus la pelouse ou le parquet que les gosiers des vainqueurs. Sacrilège ! Mais eux, ils la méritent leur brumisation alcoolisée. 

Vous allez encore dire que je ne suis plus synchrone avec notre époque, que je raisonne comme un vieux croûton. Effectivement, pendant les fêtes votives qui émaillent les douces soirées d'été du sud de la France, nous retrouvons nos jeunes, agglutinés autour du bar, le même gobelet de bière en main, se balançant timidement d'un pied sur l'autre pour ne pas en verser le contenu, même quand la musique est bonne comme dirait cet autre Jean-Jacques. Lui qui, de sa tanière londonienne, doit se poser les mêmes questions que moi (nous sommes presque du même millésime). Comment danser le trépident rock qu'il a concocté pour Céline, un godet à la main ? A l'époque nos mains étaient vides pour saisir celles de notre danseuse préférée. Trêve de nostalgie, je ne suis pas sectaire, je ne suis pas contre une bière, un pastis, un whisky, un gin ou une téquila. Il m'arrive d'y goûter, mais cette consommation de toute boisson alcoolisée doit rester modérée, c'est une simple affaire d'intelligence.

Aujourd'hui selon l'Agence Sanitaire, l'alcool serait responsable de 41000 décès en France. C'est tragique pour les victimes et triste pour ceux, parents ou amis, qui ont essayé de les tirer de cette addiction. Comme pour les accidents de la route, il n'y aurait qu'un seul décès, ce serait déjà un de trop. Mais faut-il pour autant interdire la voiture ou la consommation d'alcool pendant un mois ?  Je préfère prôner la modération permanente. Ce ne sont pas les objets qui sont responsables mais bien l'utilisation que certains en font. Pourtant l'être humain est doté d'une certaine forme de prudence, de sagesse et de tempérance. Laissons la raison s'exprimer et combattons les excès en tout genre, la vie n'en sera que plus belle pour tous. 

Aussi je veux bien faire mienne cette maxime qui est tellement vraie : « A consommer avec modération, l'abus d'alcool est dangereux pour la santé. ». Le problème c'est que de cette formule nous est servie en toutes circonstances, la loi impose aux médias d'en abuser. Elle aussi devrait être écoutée avec modération, elle y gagnerait en résonance.

A la bonne vôtre quand même. 

Alain