Les Vins Blancs Vieux

Pourquoi j’aime les vins blancs vieillis et pourquoi je vous les propose ?

Dans mon cas, je ne sais pas à quand remonte mon attirance pour les vins blancs évolués. Peut-être qu’étant catalan, j’ai été précocement confronté aux vieux Rivesaltes et aux grands Rancios. Des vins qui faisaient taire les plus bavards. Ces derniers ne s’exprimant plus que par des claquements de langue, des hochements de tête et des regards complices. C’était lors de ces fins de soirées de « Festa major », les grandes fêtes votives de nos villages du Midi où nous allions faire la tournée des « barricots ». Ces petits tonneaux dans lesquels nos pères et grands pères avaient patiemment rajouté, tous les ans, les meilleurs vins blancs de Macabeu dans une solera sans fin. Rude épreuve pour le néophyte que d’être confronté à ces puissants arômes de noix et de curry. Nous savons aujourd’hui que la molécule responsable de ces odeurs est le sotolon. Ce composé, formé au cours de l’élevage, se retrouve aussi dans le Vin Jaune ou dans les Jerez. Après une telle entrée en matière, je pouvais affronter tous les vins de la planète. Pour une initiation, on aurait pu faire plus subtil.

Lors de mes études d’œnologie, passionné de dégustation, j’ai progressivement découvert ce monde complexe des vieux vins. Les rouges bien sûr mais, bien plus surprenant, les blancs que nous faisaient découvrir les vignerons lors de nos visites. Ces belles verticales en Bourgogne, Loire, Jurançon, Rhône, Jura, Alsace et même Champagne m’ont conforté dans mon goût pour ces vins d’une richesse aromatique souvent indéfinissable.

J’aurais pu m’inquiéter de cette attirance singulière pour les vins bien élevés si je n’avais pas croisé, dans ma jeune carrière, quelques autres passionnés partageant mes goûts. Tout d’abord le grand père Jaboulet que j’avais rencontré en 1981 alors que je m’intéressais aux arômes de la Syrah. Après une chaude après-midi de collecte de raisins sur la colline de Tain, il m’avait invité à déguster quelques nectars de sa cave personnelle. Parmi eux une Roussanne de huit ans qui a laissé dans ma mémoire une trace indélébile. C’est d’ailleurs ce souvenir qui m’a fait planter la première vigne de Roussanne en Roussillon quand, quelques années plus tard, nos appellations se sont ouvertes aux cépages rhodaniens et au Vermentino. A la même époque, dans ma jeune quête de savoir, j’ai eu la chance de croiser d’autres passionnés de vins vieillis et d’échanger lors de longues discussions. Parmi eux, je citerai pèle mêle Gaston Huet à Vouvray, Jean Hugel à Riquewihr, Guy Roulot à Meursault, Henri Maire à Arbois, et bien sûr les amis catalans : Pierre Torrès et, de l’autre côté des Pyrénées, Miguel Torres avec lequel j’ai tant de fois refait le monde du vin. Entouré de telles pointures je me suis senti moins seul dans mes convictions. Mais est-ce une affaire de vieux ringards ? Je ne crois pas car pour avoir échangé récemment avec Yves Confuron, l’un de mes anciens étudiants, je me rends compte que d’autres, plus jeunes, partagent cette attirance pour les vins bien élevés et évolués.

Après quelques dizaines d’années passées comme chercheur sur les arômes dans les laboratoires de l’INRA et de l’Agro, je commence à comprendre pourquoi les vins vieux développent une aromaticité aussi complexe. En fait, si les vins jeunes perdent rapidement leurs arômes fermentaires, ces derniers sont vite remplacés par une cohorte de molécules qui se forment sous l’effet du vieillissement. J’ai cité le Sotolon, mais cette molécule n’est pas la seule à apparaître. La lente hydrolyse des glycosides et les interconversions ou modifications chimiques des molécules dont ils sont les précurseurs, amplifient mois après mois la puissance et la complexité aromatique. Serait-ce sacrilège de déguster un Muscat de moins d’un an ? je ne suis pas loin de le penser. Dans un autre registre, dans un vin vieux, je guette l’apparition progressive du sulfure de diméthyle à la merveilleuse odeur de truffe et d’olive noire, de la pipéritone et de son odeur mentholée, de certains norisoprénoïdes et de leurs notes de thé, balsamiques, minérales voire pétrolées, des coumarines aux odeurs de foin et fleurs séchées, d’alcool furfurylique à l’odeur de verveine… Cette liste est longue, non exhaustive, et je ne vais pas vous asséner un cours sur les arômes. Mais ces derniers, si beaux soient-ils, ne sont pas les seuls garants d’une aptitude au vieillissement. L’équilibre et la puissance gustative sont indispensables. Certains vous parleront de la fraîcheur acide comme gage d’une bonne évolution. Oui certes, mais nous n’oublierons pas une discrète présence tannique se conjuguant avec une légère pointe d’amertume. Ces dernières sensations s’opposant dans un dialogue harmonieux à la suavité apportée par l’alcool et les polysaccharides extraits des levures par un laborieux bâtonnage. En un mot, le but recherché est une certaine concentration « intelligente » sans être écrasante. Plénitude liée à des rendements faibles ou modérés plutôt qu’à la recherche d’une extraction exagérées ou à un passage exclusif en fût neuf. 

J’ai de la chance, le terroir argilo-calcaire de Vingrau procure une belle tension acide à mes vins. Lors de l’élaboration des cuvées Les Sorbiers et Les Magdaléniens, je m’applique à valoriser tous ces éléments dès le vignoble et le choix des terroirs pour poursuivre, au chai, par l’application de techniques simples et respectueuses : extraction douce, fermentation lente, long élevage… C’est à ce prix qu’aujourd’hui je peux déguster ces cuvées après plus de dix ans de garde. A l’image des grands Bourgogne et des grands Chenin, ces vins embellissent avec l’âge.

Rassurez-vous je suis aussi amateur de vins jeunes, mais l’intensité de l’émotion n’est pas la même. Dans notre monde où l’immédiateté est de mise, rares sont ceux qui possèdent une armoire à vin ou un lieu assez frais pour laisser vieillir leurs vieux flacons. Au Domaine des Chênes, nous le faisons pour vous en proposant aujourd’hui des blancs 2014 et 2015 étonnants de fraîcheur. A la vôtre !

- Alain Razungles