Bonjour tristesse
Pourquoi venir chatouiller le clavier de mon ordinateur en cette période si troublée et si inhabituelle ? Pas pour vous parler du célèbre roman de Françoise Sagan dont j’ai volé le titre, mais pour vous livrer une réflexion sur ce que nous vivons en ce moment.
Comme tous, je pense avec tristesse à ceux qui luttent aujourd’hui contre ce coronavirus et à ceux qui n’ont malheureusement pas pu lui résister. Et que dire à tous ceux du monde médical qui, tous les jours, essayent de sauver ces vies au risque de perdre la leur ? Merci et bravo ! Oui un grand merci, mais ce n’est pas suffisant car il y aura un après. Et là il faudra que nos dirigeants pensent à eux, à ce rempart humain fait de compétence et de dévouement. Ceux qui nous protègent et nous sauvent aujourd’hui. Ne pas les oublier et les écouter demain.
Difficile de trouver une transition après ces quelques phrases, devenues banales car maintes fois répétées ces dernières semaines, mais si importantes à rappeler. Toutefois je voudrais aller plus loin dans le raisonnement ?
Comment cette nature que j’aime tant peut-elle enfanter un virus aussi sournois ? Un organisme microscopique dont le système de reproduction n’est là que pour engendrer la mort et la souffrance à grande échelle ? Quel est donc cet obstacle mis sur le chemin de nos vies sans histoire ? Ne serait-ce pas l’illustration de cette sélection naturelle dont nous parlaient Charles Darwin ? Elle ressurgit pour nous rappeler notre vulnérabilité face à un environnement mouvant à la dangerosité inattendue. Cet évènement est certes marquant par son ampleur pandémique et son caractère mortel, mais finalement pas si rare que ça quand on observe tous les autres virus que le génie humain est parvenu à maîtriser et tous ces millions de virus « amis » dont nous sommes les porteurs sains et qui peuvent un jour muter. Nous pensions être à l’abri dans notre monde aseptisé et sous contrôle. Mais nous voyons bien aujourd’hui que la concentration humaine dans les grandes métropoles au sein desquelles nous nous sentions protégés se retourne contre nous. Le mode de propagation de ce virus est mis à mal par la distance qui sépare les individus. Pour une fois, ceux qui vivent à la campagne, loin de l’effervescence du grouillement et de la pollution citadine, s’en sortent un peu mieux. Il serait peut-être temps de repenser la gestion de la redistribution humaine sur nos territoires et notre insertion dans une nature que certains craignent car ils la connaissent mal mais qu’il nous faut absolument protéger. Ce que je raconte là est un lieu commun mais peut-être qu’une biosphère mieux équilibrée aurait limité l’impact d’une telle pandémie.
Dans ce monde tourmenté, la vie de vigneron est devenue un luxe que beaucoup vont m’envier. Ici à Vingrau la vie s’écoule paisiblement, presque de façon habituelle, dérogations de déplacement mises à part. Nos petits commerces du village avec Stéphanie, Jordan et Jean Noël assurent l’approvisionnement vital quotidien et de nombreux services de la vie courante sont maintenus. Merci à ceux qui les assurent.
A la vigne nous venons de terminer la taille et les labours battent leur plein. Aux commandes de mon petit tracteur, mon regard s’attarde sur les magnifiques falaises qui m’entourent. Et en regardant ces grandes verticalités blanches, je ne peux m’empêcher de penser à des barres d’immeubles et à tous ceux qui vivent difficilement leur confinement dans des appartements parfois exigus. J’espère pour eux que cette période de grand désagrément soit la plus courte possible. Il reviendra le temps bienheureux où nous pourrons nous retrouver, nous embrasser sans risque et trinquer à la victoire sur ce maudit virus. Et pourquoi pas avec une cuvée du Domaine des Chênes ? Ce soir j’en mettrai une au frais.
Soyez patients et prudents, l’été et les beaux jours n’attendent plus que nous et nos verres.
- Alain Razungles