Des vins qui ne s'en laissent pas conter

Comme nombre d’entre nous, je suis en quête du mariage parfait entre les meilleurs vins et la gastronomie, qu’elle soit française ou étrangère. Nul doute à mes yeux que l’assortiment des mets et des vins ne soit une invention hexagonale, tant cet art a été poussé à son apogée par une cohorte de chefs et de sommeliers de nos différentes régions, tous plus inspirés les uns que les autres. Mais paradoxalement, cette rubrique m’est venue à l’esprit en dégustant une préparation venue de très loin : des sushis.

A l’inverse de leurs concepteurs, ces esthétiques agapes nippones ne brillent pourtant pas par leur forte personnalité que je qualifierais de « platounette ». Vous le savez, pour exciter nos papilles les sushis se font volontiers épauler par différentes sauces d’origine asiatique.

Ainsi donc l’autre soir, je me suis retrouvé face à un assortiment de sushis. Je me suis vite rendu compte que l’apport de sauce soja ou de quelques filaments de gingembre agrémentait avantageusement ces bouchées japonaises. Pour l’occasion j’avais ouvert Les Sorbiers 2015, sans trop savoir où cette expérience me mènerait. Ce vin, issu de très vieilles vignes de Grenache blanc et gris et de Macabeu présente l’avantage d’une bouche équilibrée entre acidité légèrement astringente et ampleur savoureuse apportée à la fois par l’alcool et par toute une cohorte d’éléments liés aux très faibles productions des vignes. Les arômes de ce vin puissant oscillaient entre pain grillé, laurier sauce, verveine et pointe de curry. Je savais qu’il tenait la route face à de nombreux plats exotiques particulièrement épicés. Comme je m’y attendais, il se montra à la hauteur de cette joute exotique, tout en magnifiant l’ensemble. Ce qu’il n’aurait pas pu faire dans sa jeunesse.

J’eus toutefois quelques appréhensions quand vint l’épreuve du redoutable wasabi. Peine perdue, là aussi mon breuvage éteignit l’incendie qui commençait à se propager sur mes papilles. Tout cela sans le moindre conflit savoureux. Cette expérience me conforta dans mon idée sur la ressource des grands vins blancs qui ne s’en laissent pas conter. Ces vins qui s’expriment dans n’importe quelle langue, même lorsque le dialogue se durcit.

Cette remarque s’applique aussi, bien sûr, aux vins rouges et ceux qui me côtoient connaissent ma remarque sur la cuvée Les Grands-mères : « Les Grands-mères appellent le gras ». Cette traditionnelle cuvée du domaine met à l’honneur les vieux Carignan qui la composent majoritairement. Les Grands-mères affrontent sans complexe le cassoulet, le confit d’oie ou les rillettes qu’elles pourfendent de leur robuste astringence. J’aime cette confrontation, particulièrement avec le cassoulet. Qu’il soit toulousain ou de Castelnaudary, les grands-mères ne sont pas sectaires et imposent leur présence en fin de bouche. Je me suis longtemps posé la question de la résistance de ce vin face à ces plats qui font battre en retraite des cuvées bien plus prestigieuses. Il y a bien sûr le Carignan qui, à l’instar du Tannat, n’est pas avare en tanins. Mais ces derniers ne font pas tout et, comme pour Les Sorbiers, la concentration due aux très faibles rendements est certainement à l’origine de cette faculté à se frotter à ces onctueuses spécialités occitanes.

Mais cette concentration n’est pas le seul fait des faibles rendements à la vigne, elle peut aussi provenir d’un long élevage en barrique. Il en va ainsi de notre Rancio sec L’Oublié. Le millésime 1999, élevé treize ans en fûts à température ambiante, s’est naturellement concentré. La fameuse part des anges n’est pas un vain mot sur un si long élevage. Ainsi cette cuvée, boostée par ses arômes inimitables et sa fraîcheur gustative, tutoie sans complexe les meilleurs anchois. Pas les anchois fraîchement pêchés, non, ceux qui dans leur bocal au frais attendent lentement la date limite de péremption, ceux qui fondent sur la langue. Mon Rancio attrape les anchois par la queue et ne les lâche plus, un vrai bonheur.

C’est dans de telles conditions de mariage compliqué que les meilleures cuvées affirment leur identité. Je dirais même mieux : ces vins ont de la conversation, leur discours change au cours du repas, leur signature est évolutive. Et comme avec vos meilleurs amis, vous ne vous ennuyez jamais avec eux.

A la vôtre,

Alain